À l’origine, le terme de « bootleg » désigne l’enregistrement et/ou la distribution non officielle d’une oeuvre artistique (par exemple un enregistrement pirate d’un concert). Plus récemment, le bootleg s’est vu attribué une sémantique légèrement différente: il peut également désigner le mixage (en fait, le mélange) de morceaux différents en simultané, afin de produire une nouvelle « oeuvre », par superposition en quelque sorte.

Le bootleg produit des résultats amusants; écoutez par exemple ce que donne la superposition du Boys don’t Cry de Cure avec le New York avec Toi de Jean-Louis Aubert. Ce qui est moins amusant par contre, c’est d’entendre des gens trouver ça « génial » et se demander « comment on a fait pour que cela marche aussi bien ».

Certes, l’homme de la rue n’est pas obligé de connaître l’existence d’outils de production audio (de traitement du signal en fait) qui peuvent altérer la tonalité d’un morceau sans en changer le rythme, ou l’inverse (merci à tous les DJ du monde de nous matraquer la tête des heures d’affilée avec un marteau-piqueur bien régulier qui transforme la nuance rythmique, si tant est qu’elle existe encore, en une bouillie uniforme). Mais si encore le bootleg s’arrêtait là !

La source véritable du bootleg et de son succès ne réside pas dans la puissance des outils qui permettent sa fabrication, mais bien dans la médiocrité de son ingrédient de base: la musique. Le bootleg n’est efficace que parce qu’il profite de la similitude (voire de l’identité) harmonique et rythmique de morceaux soi-disant différents. Il est certain qu’en mélangeant des fraises avec des fraises, on obtient quelque chose de bon, et l’on peut même prévoir que ça aura le goût de fraise. Il est également certain qu’en mélangeant des morceaux qui se ressemblent tous, on obtiendra quelque chose qui tient debout.

Le bootleg, c’est un peu la vache folle de vos oreilles: une musique qui se nourrie d’elle-même, de sa propre uniformité, de son propre manque d’originalité, afin de se (re)produire elle-même, toujours plus consanguine, toujours plus stéréotypique. Lorsque l’on prend conscience de cela, on comprend que le bootleg ne peut pas être « génial », par définition. Ou plutôt, le vrai génie du bootleg réside dans le fait de se jouer explicitement de l’uniformité musicale et en même temps d’amener l’auditeur à une impression d’originalité.

Alors, certes, le bootleg, c’est rigolo, mais ne lui accordons pas plus de crédit qu’il n’en mérite. Un bon bootleg, c’est surtout un bon indicateur de la pauvreté de notre paysage musical.

Espérons que la musique nous boot-lègue autre chose :-)